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[Cas par cas #5] Moïse Louisy-Louis : comprendre l’arbitrage sur fusions et acquisitions grâce au storytelling

Moïse LOUISY-LOUIS , Assistant Professor

Moïse Louisy-Louis, Assistant Professor à l'EDHEC Business School, a publié, courant 2023, un cas fictif (1) inspiré de sa propre expérience d’analyste en fusion-acquisition (« merger & acquisition »), au début des années 2000. A travers l’histoire du jeune analyste Maurice Lucas-Lorenzo et de son mentor Edmund Stearson, cette étude vise à faire comprendre aux étudiants ce que sont les stratégies d'arbitrage sur fusions et acquisitions (« merger arbitrage »), leurs objectifs et les risques qu’elles présentent. Moïse Louisy-Louis a répondu à quelques questions sur la construction de cette démarche pédagogique originale.

Temps de lecture :
26 fév 2024
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Ce cas explore les différents aspects des stratégies de merger arbitrage. Quel est l’intérêt de ce type de stratégies d’investissement ? Quels risques spécifiques présentent-ils ?

Ces stratégies d'investissement consistent – pour divers profils d’investisseurs et de traders – à acheter ou vendre en simultané les actions d’entreprises qui sont impliquées dans des fusions-acquisitions. Avant ou après l'annonce d'une telle opération, le but est de profiter du différentiel existant entre le prix offert pour le rachat et celui observé sur le marché. Il s’agit d’arriver à évaluer la probabilité d'approbation de la transaction et le temps que cela va prendre.

Ces stratégies peuvent générer des rendements excédentaires non corrélés aux marchés des actions et des obligations. C’est particulièrement intéressant lorsque les marchés financiers sont déprimés. Elles comportent cependant des risques spécifiques, notamment que la transaction n'aboutisse pas, ce qui peut entraîner des pertes, surtout si les positions sont financées avec de la dette ou si certaines positions sont à découvert.

 

Quelle est la genèse de ce cas fictif ? Comment votre expérience personnelle en tant qu’analyste M&A a-t-elle influencé sa création ?

L’histoire de la formation du jeune Maurice Lucas-Lorenzo s’inspire en effet de mon propre parcours de jeune analyste, démarré il y a une vingtaine d’années.

Avant de m'orienter vers les fusions et acquisitions, j'ai évolué pendant 5 ans dans le secteur des fonds d'investissement en tant qu'analyste financier actions dans les secteurs de l’énergie, du pétrole, de la banque et de la pharmacie. Par la suite, j’ai été analyste « Event Driven » au sein d’une société de courtage spécialisée dans ce que l’on appelle les situations spéciales telles que les fusions / acquisitions, les cessions d’actifs, etc. dans le contexte des marchés boursiers américains. Avec une équipe de traders et de commerciaux, je conseillais des clients institutionnels et privés, en relation avec les stratégies de merger arbitrage.

A côté de la compréhension des défis classiques du marché, le personnage d’Edmund Stearson, le superviseur expérimenté, attache une grande importance à l’analyse des effets des événements mondiaux sur les opérations de fusion-acquisition. Or, ces deux dernières décennies, plusieurs crises internationales ont eu des conséquences notables sur ce type de transactions. Leur impact et l’expérience que j’en ai retirée me paraissent intéressants à partager avec les étudiants.

D’une certaine façon, et humblement, j’essaye de me mettre à la place d’Edmund Stearson pour former le mieux possible mes étudiants à prendre des décisions mûries et structurées dans le contexte de marchés et d’environnements politiques, économiques et sociaux en forte mutation.

 

En quoi consiste l’« état d’esprit d’enquêteur privé » ? Pourquoi est-il crucial que les analystes dans le domaine des fusions et acquisitions adoptent ce raisonnement ?

Cet état d'esprit de fin limier implique d’examiner en détail le raisonnement derrière chaque transaction, avec curiosité et un sens aigu de l’analyse des situations liées aux événements : impact industriel, risques réglementaires, approbation des actionnaires, etc. Evaluer avec pertinence les opportunités d’arbitrage revient à enquêter sur une affaire complexe car elle peut potentiellement être liée à de nombreux secteurs différents, comme l’économie, la technologie, l’environnement…

Pour les analystes en fusions et acquisitions, adopter cette approche est essentiel car elle leur permet d'identifier et de comprendre les nuances complexes des transactions, d'anticiper les risques et les opportunités, et de développer des stratégies de trading efficaces pour naviguer dans les marchés volatiles.

 

Quelles sont les difficultés que les étudiants rencontrent le plus fréquemment, dans la compréhension des mécanismes de l’arbitrage sur fusions et acquisitions ?

En général, le plus gros défi pour les étudiants est de faire le lien entre les acquis théoriques (cours de « Corporate finance, » « International Accounting, » et autres cours relatifs aux marchés financiers) et les comportements que l’on observe de la part des acteurs du marché.

Par exemple, ils comprennent la mécanique du calcul des multiples de transaction tels que le « EV/EBITDA », qui est égal à la valeur totale de l’entreprise divisée par l’EBITDA (2). Ce multiple permet de comparer la valorisation de l’entreprise à sa capacité à générer du cash. Cependant, à cause d’un certain manque d’expérience, les étudiants ne comprennent pas toujours pourquoi les acteurs du marché, qui observent deux entreprises cotées similaires et aux multiples EV/EBITDA proches, peuvent prendre des décisions opposées. L’aspect comportemental (« behavior ») de la prise de décision reste difficile appréhender, même pour les acteurs les plus aguerris !

 

Avec le temps, les étudiants (et donc futurs acteurs du marché) comprennent que l’analyse d’une transaction ne peut pas se limiter à une approche purement quantitative, mais doit aussi considérer des aspects qualitatifs comme le profil des chefs d’entreprise à l’origine de la transaction ou l’attitude des autorités de régulation des marchés et de la concurrence.

 

Aux professeurs et instructeurs qui utiliseraient ce cas, je conseille de prendre le temps de décrire en amont le fonctionnement général des marchés actions et obligataires, de parler des acteurs (analystes, courtiers, banques d’affaire, etc.), de mentionner la réglementation, de rappeler des principes importants, d’illustrer les calculs de rendement. Plus généralement, je les invite à tester la capacité des étudiants à s’approprier des notions et des situations complexes en résumant les paramètres caractérisant une transaction de fusion et acquisition avant de se lancer dans de savants calculs.

 

Dans quelle mesure le storytelling appliqué à une étude de cas favorise-t-il la compréhension de concepts-clés par les étudiants ?

Raconter une histoire, nommer et décrire des personnages, planter un décor coloré… : cela aide grandement les futurs analystes à se représenter et à contextualiser ce que sont les mécanismes de merger arbitrage. En présentant des scénarios réels ou fictifs, je suis convaincu que le storytelling rend l'apprentissage plus engageant, plus concret. Il permet de mieux comprendre comment les concepts de l'arbitrage sur fusions et acquisitions s'appliquent dans des situations réelles et renforce la capacité des étudiants à analyser et à résoudre des problèmes complexes.

 

Références

(1) « Merger Arbitrage: A Private Investigator's Mindset », Case-Reference no. 123-0006-1. https://www.thecasecentre.org/products/view?id=188864

(2) « Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization » est une valeur approximative des flux que génèrent les activités opérationnelles de l’entreprise au cours de l’année